samedi 26 février 2011

Entre le marteau et l'enclume...

Marie, un petit bout de femme de 45 ans, travaille comme infirmière depuis toujours. Enfin, depuis qu'elle ne va plus à l'école, quoi.

Elle n'est pas à son compte, tout le monde n'a pas l'esprit d'entreprise et n'a pas forcément le cran qu'il faut pour voler de ses propres ailes et a besoin de se rattacher à une structure déjà existante, solide, qui la porte.

Rien de mal à cela.

Marie possède et vit une petite maison en Ardèche, à flanc de montagne, en pleine foret, donnant sur un petit bout de vallée qui offre un très joli paysage quand le temps est bien dégagé. De l'air pur, de l'eau tout droit sortie de la source juste derrière, peu d'ondes électromagnétiques (pas de wifi, et les portables ne passent pas), de quoi s'assurer une retraite calme avec le moins possible de pathologies à traîner.

Ses enfants ont grandi et sont partis de la maison, son mari est décédé l'année dernière, le deuil est fait, elle a repris du poil de la bête, tout se passe pour le mieux.

Dieu étant taquin, voici qu'arrive une épreuve. Une vache d'épreuve.

Marie est embauchée pour quelques mois dans ce que la société appelle pudiquement une "maison de retraite privée", qui n'est en fait qu'un lamentable et coûteux mouroir comme il en existe tant.

Que voulez-vous, les grabataires n'ont aucune valeur : ils ne travaillent plus, coûtent du fric à la sécu et en plus, ne sont plus capables de mettre un bulletin dans l'urne. Voilà le cynisme auquel on aboutit dans un monde d'élus qui font carrière dans l'élection.

Marie, petit bout de femme qui présente tous les signes d'une personne vertueuse à tous points de vue, se retrouve soudain à côtoyer l'impensable.

Revenons, à notre épreuve. L'impensable devient une réalité crue, insupportable.

Le genre d'impensable qu'on lit dans les journaux, qui fait parfois la une d'un JT pour bien nous expliquer avec la plus grande hypocrisie à quel point nous, les "non-élus", ne prenons pas soin de nos aînés.

Alors nous, on perçoit ça avec un certain détachement parce que bon, ça arrive aux autres. C'est pas en bossant dans un garage automobile qu'on tombera sur des situations comme ça. On sait que ça existe, mais comme c'est lointain, on en a pas vraiment la notion.

L'impensable en question, c'est la maltraitance, une maltraitance des plus abjectes, des plus inhumaines, des plus humiliantes qu'il puisse être donné de voir : des petits vieux laissés plusieurs jours baigner dans leur urine s'ils se sont oubliés au lit, d'autres à qui on fait manger leur vomi s'ils ont rendu après le repas, de la nudité forcée le temps que les vêtements soient lavés, vols d'effets personnels et d'argent, vraiment des choses absolument ignobles.

Marie n'a pu supporter de voir comment cela fonctionnait dans cet établissement pourtant réputé, cher, qui présente de l'extérieur tous les signes d'une maison respectable et respectueuse.
Après en avoir parlé à sa direction qui l'a joyeusement envoyé paître, elle décide d'en parler à l'agence régionale de santé, qui prend l'affaire en main. Tout se passe alors très vite : les enquêtes sanitaires sont suivies de poursuites pénales.

Il y a procès, et les sanctions tombent.

TOUTES les sanctions.

Le directrice de l'établissement, parfaitement au courant de ces agissements, mais qui fait partie de ses fondateurs, a été condamnée à ne plus assurer de responsabilités dans le monde hospitalier.... Mais voilà, en tant que fondatrice et détentrice d'une majorité de parts, elle est en fait toujours aux commandes. En arrière-plan, certes, mais aux commandes quand même. Autant dire rien du tout.

Deux autres personnes ont été condamnées, et c'est vraiment là que je veux en venir :

L'infirmière qui travaillait en binôme avec Marie, qui était tout aussi écoeurée de ces pratiques, mais s'écrasait parce qu'elle avait peur des conséquences, a par contre été condamnée à de la prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé cela aux autorités alors qu'elle y travaillait depuis bien plus longtemps.

La dernière sanction n'est pas pénale : dans le petit monde des hôpitaux et hospices, tout se sait très vite et désormais, Marie ne peux plus prétendre travailler dans aucun établissement d'Ardèche, ni même des départements voisins. Elle est grillée.

A présent, elle ne peut plus que passer les dimanches dans sa belle maison ardéchoise, qui s'abime à vue d'oeil puisque presque inhabitée, le reste du temps elle loue un appartement minable à Grenoble qui lui coûte une fortune par mois, pour pouvoir continuer à exercer son métier d'infirmière, à plus de 150 kilomètres de chez elle.

Que conclure de cette histoire ? Deux choses :

Premièrement, les acteurs du monde hospitalier, à partir d'un certain niveau, se protègent entre eux. Pire encore, ils savent tous que dans leur établissement, peuvent survenir des pratiques malsaines et au lieu de lutter contre cela, ou même faire de la prévention, c'est à dire faire en sorte que ces comportements ne jaillissent pas, préfèrent maintenir une omerta absolument nauséabonde. Quiconque met en évidence des dérives est mis au placard. Donc, on privilégie la poursuite des dérives à leur arrêt.

Deuxièmement : si on dénonce, on est grillé professionnellement. Si on ne dénonce pas, on risque la prison. Il semble que notre système judiciaire, si prompt à toujours tout vouloir légiférer, jusqu'aux dimensions de nos carrés de PQ et autant détails techniques ridicules, soit incapable de répondre à des questions de société, terriblement humaines pour le coup, en punissant la lâcheté plutôt que la responsabilité, et en encourageant pas..... le courage.

Marie, un petit bout de femme de 45 ans, prise entre le marteau et l'enclume, qui a fait le bon choix, a quand même pris le coup et s'est faite écraser.

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